Communication de Ninon Grangé, Maître de conférences en philosophie à l’Université Paris-8

Frank Capra, le « guérisseur », a assorti, dans ses films, la recherche du bonheur de thèmes pessimistes. Son pessimisme ne s’applique pas à la nature humaine mais à sa conception du droit. En montrant que le bonheur individuel ne va pas sans le bonheur collectif, et que le bonheur de tous ne saurait se contenter de l’assentiment général et vague sur un consensus démocratique, Capra représente le droit comme constamment en danger, à la fois dans son installation et dans sa réitération toujours nécessaire. À l’image du droit en construction correspond toujours le risque réel d’un droit en destruction. On pourrait expliquer cette conception du droit comme profondément instable par le fait biographique de l’immigration de Frank Capra ; on pourrait l’expliquer aussi par son expérience de la Deuxième Guerre mondiale où son adhésion au pays d’adoption demanderait constante confirmation. Je privilégierai la comparaison entre ses films de propagande, tournés pendant la guerre, où le droit est en danger par rapport à un « extérieur », et ses films de fiction où le droit « à l’intérieur » s’ancre dans des lieux précis (Washington, le parlement, le tribunal…). Je tenterai de savoir s’il y a une différence de représentation du droit en danger qui se répercute sur la conception du droit, et si l’énoncé documentaire et l’énoncé fictionnel décrivent finalement une même réalité. C’est l’identification de l’ennemi qui est en jeu dans tous ces films. Mais si l’ennemi est toujours humain, pour Capra, qu’est-ce qui met en danger, dans ses fondements, le droit ?

 

Filmographie de départ :

L’Extravagant Mr. Deeds (Mr. Deeds Goes to Town), 1936

Monsieur Smith au Sénat (Mr. Smith goes to Washington), 1939

L’Homme de la rue (Meet John Doe), 1941

Pourquoi nous combattons (Why We Fight), 1942-1945

Know Your Ennemy : Japan, 1945

Here Is Germany, 1945

La vie est belle (It’s a Wonderful Life), 1946

L’Enjeu (State of the Union), 1948