Le 31 janvier 2025, Louise Testot-Ferry a soutenu sa thèse à l’Université de Toulouse-Capitole, devant un jury composé de M. Philippe Delvit (directeur de thèse), Mme Anne-Sophie Chambost (rapporteur), Mme Karen Fiorentino (rapporteur), Mme Soazick Kerneis (examinatrice), Mme Martine Sin Blima-Barru (examinatrice), M. Christian Delage (Examinateur) et M. Jérôme Henning (président du jury). Elle propose un résumé de ses travaux aux lecteurs d’IMAJ.
Pourquoi faire une loi ?
Cette interrogation fait partie des lignes directrices qui nous ont animés durant ce travail doctoral. L’étude de la loi n°85-699 du 11 juillet 1985 tendant à la constitution d’archives audiovisuelles de la Justice est ainsi au cœur de cette somme de questionnements. Cette norme prévoit, de façon exceptionnelle, le filmage de certains procès français et dans cette perspective, elle a produit un fonds d’archives inédit : les Archives Audiovisuelles de la Justice.
« l’enregistrement audiovisuel […] permettra de doter la justice d’une mémoire vivante » (Robert Badinter, 1985)
La recherche menée s’est attachée à saisir les enjeux de cette adoption législative, mais également ceux qui naissent de son application. Le dépouillement exhaustif des Archives Audiovisuelles de la Justice (soit environ 2 600 heures d’enregistrements), croisé à une multitude de sources diverses (archives parlementaires, doctrinales, budgétaires, ministérielles, médiatiques, littéraires et jurisprudentielles), à la typologie variée (manuscrites, imprimées, orales et audiovisuelles), offre un regard d’ensemble original sur cet objet d’étude. L’apport de la méthode d’histoire du droit, couplée à des méthodes plus spécifiques telles que la légistique, permet de délimiter la notion d’intérêt pour la constitution d’archives historiques de la Justice, « nouvelle en droit français », Philippe Marchand, 1985.
La loi Badinter, une loi de circonstance
La loi de 1985, portée par Robert Badinter alors ministre de la Justice, possède des ambiguïtés dès sa fabrique. L’étude des archives révèle que les formulations généralistes retenues sonnent faux et tentent de maîtriser la progression de l’audiovisuel.
« De manière plus pragmatique, faut-il considérer comme inéluctable, à court terme, l’entrée des moyens audiovisuels de la communication dans les prétoires (…) ? » Commission Justice et Audiovisuel, 1984.
La loi dite Badinter se révèle comme une loi de circonstance qui ne parvient pas à se défaire de son contexte d’origine le procès de Klaus Barbie. La remise en contexte de la fabrique de la loi éclaire sur l’orientation restreinte qui est prise : on concentrera l’œil de la caméra sur la justice pénale et les « grands » procès historiques. Les justices civile et administrative, ainsi que la justice du quotidien sont exclues, malgré les discours officiels. L’image de la Justice s’en trouve tronquée et amoindrie.
Filmer les procès…mais lesquels ?
S’arrêter sur la distinction entre la lettre de la loi et son application permet d’envisager l’enjeu de la sélection des procès filmables. L’ensemble des sources met en lumière les ambiguïtés initiales et pérennes quant au patrimoine visuel de la Justice à constituer et les rouages de la loi révèlent l’importance du travail d’un organe administratif ad hoc : la Commission Consultative des Archives Audiovisuelles de la Justice (C.C.A.A.J.). L’absence de critères de sélection clairs laisse alors à la subjectivité des juristes cette trace du juriste, par le juriste et pour le juriste.
« chacun mesure aisément, si l’audiovisuel avait existé à l’époque de Zola ou de Dreyfus, la valeur historique et humaine de l’enregistrement des débats de la Cour d’assises de Paris ou du conseil de guerre de Rennes » (Robert Badinter, 1985).
Du fait de la construction de la loi à « l’esprit archive », mais aussi au regard des procès choisis pour être captés, les Archives Audiovisuelles de la Justice créées pour l’Histoire glissent inexorablement dans le registre de la Mémoire. Or, l’image, a fortiori produite et archivée par l’institution, possède un poids particulier. L’image animée est renforcée par la croyance que la caméra voit tout. Pourtant, la surreprésentation des crimes contre l’humanité dans ce corpus nuance l’objectif de représentativité poursuivi. Ce fonds questionne d’autant plus étant donné que la finalité pédagogique affichée par la loi Badinter.
Le filmage : enjeux et effets
L’adoption de la loi Badinter accompagne également une grande réforme générale de l’institution. Robert Badinter s’est employé dès les premiers temps de son ministériat à modifier concrètement la Justice par des textes hautement symboliques. Cette mutation s’inscrit dans une volonté de modernité, d’efficacité et de transparence d’une institution mal aimée des citoyens. L’enjeu est décisif puisque la perte de confiance des justiciables dans l’institution joue directement sur l’affaiblissement de la légitimité et de l’autorité dans cette société française de la fin du XXe et du début du XXIe siècle. La Justice et son image sont un précieux instrument dans l’entreprise de reconquête de la confiance populaire.
« la loi porte atteinte, de toute évidence, au droit à l’image mais le raisonnement n’a pas convaincu la Cour de cassation » -(Anonyme, 1994).
Si l’un de ces grands changements de l’ère mitterrandienne demeure l’abolition de la peine de mort, l’annonce du procès Barbie rouvre le débat sur la sanction envisageable pour ce dernier. Comment punir le crime des crimes sans la peine des peines ? Le changement profond opéré par l’abolition questionne le filmage comme peine juridique. « une mise au pilori » Commission Justice et Audiovisuel, 1983. La thèse montre qu’elle n’en possède pas les qualités nécessaires mais la mise en lumière d’effets punitifs dans le domaine de la Mémoire permet de réemployer ici la notion d’anthropémie mémorielle et d’en comprendre les mécanismes appliqués à l’archive filmée. Quelques années avant la consécration de la formule de « devoir de mémoire » des années 1990, la loi Badinter préfigure ce besoin de passé. Bateau de Thésée, la loi Badinter connaît en réalité une certaine continuité malgré les modifications opérées en 1990, 2013 et 2019.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Ninon Maillard (9 juin 2025). L’exception de la captation audiovisuelle de la Justice selon la loi Badinter du 11 juillet 1985. Des archives entre Histoire et Mémoire (1981-2019). IMAJ. Consulté le 16 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/142rr