La rencontre PROFIL du lundi 17 février 2025 a porté sur l’image du procès à partir des questions juridiques que le filmage a pu, et peut encore poser, et de l’expérience du filmage du procès des attentats de Charlie Hebdo, de l’Hyper Casher et de Montrouge. Nous avons choisi de donner la parole à deux jeunes chercheurs de notre équipe : Louise Testot-Ferry et Maxime Gasnault qui ont tous deux particulièrement travaillé cette question.
Louise Testot-Ferry a soutenu sa thèse d’histoire du droit à l’Université de Toulouse-Capitole le 31 janvier 2025. Le titre de la thèse de Louise témoigne bien du fait que ses travaux se situent au cœur de notre enquête : « L’exception de la captation audiovisuelle de la Justice selon la loi Badinter du 11 juillet 1985. Des archives entre Histoire et Mémoire (1981-2019) ». Elle explore toute l’histoire juridique du filmage des procès en France pour dévoiler la manière dont les juristes se sont saisis, pour l’encadrer, de l’introduction de la caméra au prétoire mais aussi pour déterminer le statut de l’image produite, tiraillée entre sa finalité historique et sa valeur mémorielle. En ce sens, les effets de l’image, notamment punitifs, sont également envisagés. Ce travail repose sur le croisement entre l’étude légistique et la loi Badinter, le dépouillement d’archives et la mise en place d’archives orales.
“La thèse de Louise Testot-Ferry constitue une première dans l’histoire très récente des procès filmés en France depuis le procès Barbie, sur plusieurs plans : elle a d’abord visionné l’intégralité des 2635 heures d’audiences qui ont fait l’objet d’une captation audiovisuelle de 1987 à 2019, ce qui représente un tour de force et, au passage, une justification, pour la puissance publique, de l’intérêt d’avoir un jour décidé puis renouvelé un tel investissement financier. Ensuite, Mme Testot-Ferry a pris la peine de relier le visionnement de ces documents, conservés aux Archives nationales, à la correspondance entre ministères, aux ordonnances, à la presse, à la doctrine, et à la position des professionnels des archives et de la justice. Historienne du droit, elle s’est ouverte aux enjeux juridiques, certes, mais aussi politiques, mémoriels et éthiques, liés à la captation et à la diffusion des images de procès. Dans le rapport de thèse, le professeur Jérôme Henning se demande ainsi à juste titre s’il ne s’agit pas, d’une certaine manière, « d’une thèse d’“histoire du droit du temps présent“ ou d’“histoire présente du droit“ dans le sens fort que l’historiographie donne à ce courant né autour de l’Institut d’histoire du temps présent dont les travaux s’intéressent en particulier aux procès filmés ». La thèse se collète en particulier à la question de la variation sémantique de la Loi Badinter, qui prônait d’abord le caractère historique des procès comme justifiant leur filmage, avant de déplacer cette qualification vers l’archive elle-même, dont on se doute bien cependant que si celle-ci est « historique », c’est en raison des enjeux sociétaux extra-ordinaires qui en ont fondé puis animé les débats et les jugements. Enfin, la dimension proprement audiovisuelle du procès filmé n’est pas de moindre importance, et c’est également un terrain sur lequel Mme Testot-Ferry livre une réflexion pionnière, en recourant à la notion d’anthropémie mémorielle pour interroger le caractère possiblement punitif de la captation audiovisuelle par l’absence d’oubli qu’entretient l’archive pour les accusés dans le futur de leur réinsertion dans le tissu social.”
(Christian Delage, Professeur émérite de l’Université Paris 8, réalisateur, membre de l’IHTP)
Maxime Gasnault est historien, spécialiste de l’image et du cinéma. Il a soutenu un mémoire en études cinématographiques sous la direction de Christian Delage, intitulé « De l’absence à l’image. Témoignages cinématographiques du génocide au Cambodge ». Il y analyse, d’une part, la façon dont l’image audiovisuelle relaie et produit une mémoire spécifique, évolutive, de la période khmère rouge (1975-1979). Il y envisage, d’autre part, les témoignages d’acteurs qui utilisent les propriétés cinématographiques pour mettre en récit leur vécu. À cet égard, il consacre à l’œuvre du cinéaste Rithy Panh une place de premier plan dans son étude. Il a également contribué à l’ouvrage récent Faire l’histoire en la filmant sous la direction de Christian Delage et de Claire Demoulin (CNRS) avec un article intitulé « La fabrique audiovisuelle des mémoires du génocide au Cambodge (1978-1996) ». Il a suivi, à l’automne 2020, le procès des attentats du 7, 8 et 9 janvier et a co-rédigé un rapport dans lequel d’une part, il s’interroge sur les motivations qui ont poussé les acteurs de la justice à filmer le procès et d’autre part, il analyse les modalités de la captation et de l’archivage de ce procès.
Le programme PROFIL (PROcès FILmés) s’inscrit dans la continuité de celui qui, au sein du LABEX “Les passés dans le présent”, portait sur “Les procès filmés, une mémoire vive. De Nuremberg au procès du 13 novembre 2015” (IHTP/Archives nationales).
PROFIL est actuellement soutenu par la MSH-Mondes (« Faire à plusieurs 2024 »), l’INIST-CNRS et le CHAD (Centre d’Histoire et d’Anthropologie du Droit, EA 4417). Le projet a obtenu par ailleurs un financement de Paris-Lumières Alliance 2025.
L’équipe de recherches PROFIL : Cecile Boëx, Timothée Brunet-Lefevre, Christian Delage, Emanuela Fronza, Maxime Gasnault, Joël Hubrecht, Jean-Louis Iten, Bettina Lobel, Ninon Maillard, Louise Testot-Ferry, Laura Rossi, Nicolas Van Doorn.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Ninon Maillard (28 mai 2025). RENCONTRE PROFIL 2 : Le filmage des procès : Droit et Pratique, avec Louise Testot-Ferry et Maxime Gasnault (17/02/2025). IMAJ. Consulté le 15 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/140ux

